Le pouvoir esthétique

Baldine Saint Girons

On parle du pouvoir de la raison, du pouvoir politique, du pouvoir de la science, du pouvoir des armes, du pouvoir économique, du pouvoir de l’argent, de celui des corps, du sexe qui sont les enjeux d’une course infinie, mais il est un autre pouvoir, moins «médiatique», plus secret mais néanmoins d’une vigueur insoupçonnée: le Pouvoir Esthétique. C’est de celui-ci dont le livre de Baldine Saint Girons s’essaie à dénouer les fils, à mettre à jour les efficaces, les magies et les sortilèges.
Le Pouvoir Esthétique est le pouvoir premier, naturel et indépendant (non auxiliaire ou instrumental comme la richesse ou la réputation) propre au sensible: capacité d’avoir des impressions, capacité d’en produire, recevoir et générer. En amont et en aval de l’Art. Mais, et c’est ce que montre Baldine Saint Girons, il ne se réduit pas aux beaux-arts, n’embrasse pas que le domaine du beau. Il concerne aussi toutes les activités humaines et les instruit, car, nous le savons, rien n’apparaît en dehors de la sensation: la parole est audible, les corps sont visibles, les parfums nous enivrent, le vent, le soleil embrasent notre peau. Bref, pas de monde sans sensation. Et c’est du monde essentiellement dont il est ici question. Et du monde le plus contemporain qui soit, celui du Spectacle tautologique, omniprésent, universel.
Après avoir fait une généalogie savante de la thématisation du Pouvoir Esthétique [Beau/Sublime/Grâce; Plaire/Inspirer/ Charmer] dans la Tradition: Aristote, Hobbes, Burke, Baumgarten, Kant, Hegel, Winckelman, etc., l’auteur ne manque pas de répondre à la provocation de l’Image moderne-essentiellement visuelle, plastique, immédiatement mobilisable, manipulable, analphabète, telle un argument de type nouveau, étalée dans le visible et assénée par lui.
Car l’Image, loin d’être l’outil des autres pouvoirs, possède son autonomie, son propre génie, son propre vertige. Et règne aujourd’hui sur la circulation des jeux de plaisirs et de domination, en maître insoupçonné et inflexible de nos vies. Mille exemples en témoignent: l’écran télévisuel autophage, l’infinie mise en scène politique, la planétarisation des icônes Michaël Jackson, Lady Di, ou Obama, la «fashion victimisation» consentie et voulue, etc.
À l’inverse d’une vulgate moderne toute faite de dénigrement ou d’adoration de l’Image, c’est en parcourant le long chemin du Pouvoir Esthétique que de Baldine Saint Girons nous rend à notre liberté de jouir de l’Image sans pour autant abdiquer notre liberté car, écrit-elle, «le problème n’est pas de juger la manipulation esthétique: on ne saurait la condamner ou la légitimer a priori, comme si elle était un mal ou un bien en soi. Il est d’en reconnaître l’efficacité, d’en isoler et d’en démonter les mécanismes. Une manipulation esthétique en remplace toujours une autre, car nous sommes des êtres sensibles et impressionnables, toujours piégés et dupés; mais il appartient de repérer comment procède le piège, la nature de ses lacs et les moyens de nous en préserver».

15×24 cm – 140 pages

15,20