Mes Inscripcions (1779-1785) suivi du Journal (1785-1789)

Nicolas Rétif de la Bretonne
Texte établi, présenté et annoté par Pierre Testud

En cette année 2006 où l’on célèbre le bicentenaire de la mort de Rétif de la Bretonne (1734-1806), la meilleure façon de le rendre vivant était sans doute de publier enfin une partie de ses écrits intimes. Rétif eut une conscience particulièrement aiguë de la fuite du temps, de l’importance de la mémoire, de la nécessité d’échapper à l’instant. Il nous dit dans Monsieur Nicolas, son autobiographie, avoir tenu dès son jeune âge des cahiers où étaient notés les événements importants de sa vie (les memoranda). Ces cahiers, qui servent de base à une partie de Monsieur Nicolas, sont perdus, mais ce qui est parvenu jusqu’à nous sont des liasses de feuillets manuscrits qui témoignent d’un désir continu d’enregistrement.
Mes Inscripcions sont un relevé des inscriptions gravées de 1779 à 1785 sur les parapets de l’île Saint-Louis, au cours de promenades quotidiennes. Muni d’une clé, ou d’un fer, il marque la pierre d’une date, accompagnée le plus souvent de quelques mots abrégés, latins de préférence. Ce sont bien des graffiti avant la lettre (le mot date de la fin du xixe siècle), et du reste les enfants de l’île crient Griffon! Au passage de Rétif. Le griffon, c’est celui qui griffe la pierre avec un poinçon (graphium en latin, origine du mot graffiti) et aussi celui qui griffonne des chiffres et des mots peu lisibles. Il est à la fois inquiétant et risible. Mais pour lui, il ne s’agit pas de laisser sa trace au regard des passants. Il s’agit d’un rite sérieux, à usage intime: retrouver le temps passé, au jour marqué, année après année, et se procurer ainsi, selon l’expression de Rétif, «un véritable aliment de sensibilité». Ce graffitomane n’avait rien d’un exhibitionniste.
Mais il s’aperçoit que ses notes lapidaires (sans doute gravées peu profondément) ne sont pas à l’abri de la disparition. En 1785, il décide donc, pour assurer leur conservation, de les recueillir sur papier. Il prend alors plaisir à les développer, surtout celles qui sont relatives à son histoire d’amour avec Sara. Son projet est d’en faire «une espèce de livre» et de les annexer à Monsieur Nicolas, dont il vient d’achever le manuscrit. Ce projet ne se réalisera pas.
Sitôt ce relevé terminé, et sur le même manuscrit, il s’engage dans la tenue d’un journal: «Je continuerai désormais à écrire, jour par jour, tout ce qui m’arrivera, jusqu’à la fin de ma vie. J’emporte aujourd’hui ce papier dans ma chambre de la rue Saint-Jacques, afin qu’il ne soit pas vu.» (4 novembre 1785). La sauvegarde des inscriptions l’a donc conduit à systématiser l’enregistrement du vécu. Il tiendra en effet scrupuleusement son journal, notant chaque matin son emploi du temps de la veille: avancées dans ses manuscrits, dans l’impression de ses ouvrages, rencontres, visites, déambulations dans les rues de Paris, secrets de sa vie sexuelle.
En 1889, Paul Cottin avait édité Mes Inscripcions et le début du Journal (jusqu’au 19 août 1787), soit la partie du manuscrit conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal. Mais ce travail était entaché d’erreurs et d’approximations. Il fallait le reprendre. La présente édition se fonde sur une transcription rigoureuse, éclairée par une annotation renouvelée, bénéficiant des progrès des études rétiviennes. En outre, elle donne la suite du journal, conservée dans le Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, et longtemps ignorée. Pour des raisons matérielles, il a fallu s’arrêter ici en décembre 1789, alors que cette suite, qui part du 20 août 1787, va jusqu’en juin 1796. Une autre édition viendra donc un jour compléter celle-ci. Des années 1796 – 1806, aucune trace n’est parvenue jusqu’à nous, mais les collections privées peuvent encore réserver d’heureuses surprises.
Lire ces inscriptions et ce journal, c’est connaître dans sa réalité brute la condition d’un homme de lettres sans pension ni fortune personnelle au xviiie siècle : son inlassable travail d’écrivain, ses difficultés pour publier et vendre ses ouvrages, son environnement social, sa vie familiale et ses secrets.
C’est aussi, d’un point de vue historique, découvrir un important jalon dans le processus d’apparition de l’écriture intime en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

15×24 cm – 848 pages

36,00 

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