La mort de Voltaire

Arsène Houssaye

«Ce fut surtout à l’heure de sa mort que la royauté de Voltaire a été universellement reconnue. Quand il mit un pied dans la tombe, il mit un pied dans l’immortalité.
Homme étrange jusqu’à la fin! Depuis un demi-siècle, il disait à toute l’Europe qu’il n’avait qu’un moment à vivre, lui qui était né mourant. Son tombeau, fait d’une simple pierre, s’ouvrait contre l’église qu’il avait bâtie. Il avait beaucoup gambadé, selon son expression, autour de son tombeau, sans que l’heure sonnât de s’y coucher. Ses amis étaient venus et revenus lui dire adieu; il attendait la mort de pied ferme…»

Extrait:
Il se décida à partir – il avait quatre-vingt-quatre ans! Un jour d’hiver, un jour de neige, un jour de bise, le mardi 3 février 1778, il se mit en route et voyagea toute une semaine pour revoir sa bonne ville de Paris. Il arriva le septième jour. Croyez-vous que ce fut pour lui un jour de repos? Non. En descendant de voiture, il ne monta pas dans cette maison à jamais consacrée, du quai des Théatins, où l’attendait la marquise de Villette devant un feu d’enfer, car la Seine charriait ce jour-là. Il s’en alla à pied, enveloppé dans sa pelisse, chaussé de bottes à la Souwarof, encapuchonné dans une perruque de laine surmontée d’un bonnet rouge, il s’en alla chez ses chers anges, le comte d’Argental, qui ne l’attendait pas, mais qui le reconnut dans cet étrange accoutrement quoique l’absence eût été bien longue.
Voltaire se jeta dans les bras de son meilleur ami et lui dit avec des larmes dans les yeux: «J’ai interrompu mon agonie pour venir vous embrasser».

12×16 cm – 42 pages

4,10